Ombres de mes livres

 

… où j’ai cherché à esquisser les silhouettes des 
premiers possesseurs de mes livres anciens.
 
 
 
Louise-Bénédicte de Bourbon-Condé, Duchesse du Maine 
(1676-1753)
Le livre :


R.A.F. de Réaumur

L'art de faire eclorre
des oiseaux domestiques

A Paris, de l'imprimerie royale, 1749


 
Le fer sur le livre :

Ecu double timbré d’une couronne de prince français
entouré d'une cordelière de veuve :

« à dextre : de France au bâton de gueules péri en barre
(légitimé de France) ; 
à senestre : de France au bâton de gueules péri en bande
(Bourbon-Condé) »

Louise-Bénédicte de Bourbon
« Mademoiselle d’Enghien »
puis « Mademoiselle de Charolais »

(Paris, 8 novembre 1676 - 23 janvier 1753)

Fille du Prince de Condé
Princesse du Sang de France


Duchesse du Maine
Princesse de Dombes

Une princesse piquante dans les fastes de Sceaux
La "Poupée du sang" :

Petite-fille du Grand Condé, Louise-Bénédicte de Bourbon est la fille du prince de Condé, premier prince du sang, et de la princesse palatine Anne de Bavière. Sous le règne de Louis XIV, hormis sa famille et celle du duc d'Orléans, les Condé sont les membres de la famille royale les plus proches du roi. D'où l'immense orgueil de la petite princesse qui, de très petite taille, avait été surnommée la « poupée du sang ».
Mariée au duc du Maine :

Fils légitimé de Louis XIV et de madame de Montespan, le duc du Maine est le fils préféré du roi. Louis XIV l'avait comblé d'honneurs : Duc et pair de France, colonel-général des Suisses, grand-maître de l'artillerie. Il l'avait même placé à un rang intermédiaire entre les ducs-pairs et les princes du sang, le rendant apte à la succession royale.

Le duc du Maine épouse le 19 mars 1692 Louise-Bénédicte de Bourbon-Condé qui considère comme un déshonneur de se marier à un bâtard et qui lui fera sentir toute sa vie la supériorité d'une princesse du sang sur un fils de roi issu d'un double adultère.
Portrait féroce par Saint-Simon :

Le duc de Saint-Simon, qui n'a jamais pu accepter la promotion des bâtards du roi au dessus des ducs et pairs, n'est pas tendre pour la duchesse du Maine :

« Elle avait du courage à l'excès, entreprenante, audacieuse, furieuse, ne connaissant que la passion présente et y postposant tout, indignée contre la prudence et les mesures de son mari qu'elle appelait misères de faiblesse, à qui elle reprochait l'honneur qu'elle lui avait fait de l'épouser, qu'elle rendit petit et souple devant elle en le traitant comme un nègre, le ruinant de fond en comble sans qu'il osât proférer une parole, souffrant tout d'elle dans la frayeur qu'il en avait et dans la terreur encore que la tête achevât tout à fait de lui tourner. Quoiqu'il lui cachât assez de choses, l'ascendant qu'elle avait sur lui était incroyable, et c'était à coups de bâton qu'elle le poussait en avant. »

« gâtée par la complaisance sans bornes de M. du Maine, [elle] était devenue une manière de divinité fort capricieuse, qui se croyait tellement tout dû qu’elle ne croyait plus rien devoir à personne. »
Le château de Sceaux :

Le château de Sceaux avait été considérablement agrandi par Colbert. Les héritiers du marquis de Seignelay, son fils, vendent le château au duc du Maine en 1700.

Le duc ne joue qu’un rôle effacé à Sceaux. C’est son épouse qui donne au domaine tout son éclat.

La duchesse fait construire une salle de théâtre au premier étage du château et  aménager, dans sa "chartreuse", au deuxième étage du pavillon sud, un cabinet et une galerie dédiés à la poésie, aux arts et aux sciences.

Elle montre toute sa fantaisie en faisant redessiner pour ses deux fils les jardins du "Petit château", bâtiment qui leur était réservé : fontaines de rocailles et de coquillages, jeu d’arbalète, volière et bassin orné d’un automate animé par la force hydraulique, décorent les jardins.

Vers 1720, l’architecte Jacques de La Guêpière édifie dans le jardin de la Ménagerie, un élégant pavillon où toutes les pièces étaient rondes.
L’ordre de la Mouche à miel :

Souvent objet de moqueries pour sa petite taille et son caractère emporté, la duchesse riposte avec les armes de l'esprit. Elle crée ainsi en 1703 un ordre de chevalerie fantaisiste, l'ordre de la Mouche à miel (abeille). Inspirée de l'Aminte du Tasse, sa devise, « Piccola si, ma fa pur gravi le ferite » qu'il faut traduire ainsi « Petite, certes, mais elle fait de cruelles blessures », compare la duchesse à une abeille et fait allusion à son caractère vif auquel il est prudent de ne pas se frotter.

Composé de quarante chevaliers comme l'Académie française, mais cependant ouvert aux femmes, cet ordre fictif attache à la duchesse une cour de joyeux esprits. Les récipiendaires, au cours d'une cérémonie solennelle, jurent fidélité et obéissance à la grande Ludovise, surnom de la duchesse.

A l'issue 
de la cérémonie, les récipiendaires reçoivent une médaille suspendue à un ruban de couleur jaune citron qu'ils doivent porter chaque fois qu'ils se trouvent à Sceaux. Il n'est pas recommandé de perdre cette médaille. Cette mésaventure arrive à Mlle de Moras qui doit la récupérer, cachée par Malézieu à l'intérieur d'un pâté, en chantant des louanges en vers à la duchesse. 
 
 
Une cour d’écrivains :

La duchesse du Maine est entourée à Sceaux d'une cour d'écrivains dont beaucoup lui dédient leurs ouvrages.

Tous les gens d’esprit de l’époque se pressent à ses divertissements littéraires : Émilie Du Châtelet, Marie du Deffand, Montesquieu, d’Alembert, Fontenelle, le président Hénault, le futur cardinal de Bernis, Henri François d’Aguesseau, le poète Jean-Baptiste Rousseau, le dramaturge Antoine Houdar de La Motte, l’abbé Mably, le cardinal de Polignac, le comte de Caylus, etc.
Voltaire à Sceaux :

On voit fréquemment à Sceaux un jeune écrivain de grand avenir, qui s’y prépare plutôt à une intense production théâtrale. Il s’agit de Voltaire qui fréquente la petite cour de 1712 à 1717, puis de 1746 à 1750. 

C’est au cours des divertissements de Sceaux que Voltaire écrit ses premiers contes : Le crocheteur borgne et Cosi sancta. A la demande et à l’intention de la duchesse du Maine il compose trois pièces, Oreste, Catilina (qui deviendra Rome sauvée) et Sémiramis

Ce que Voltaire a particulièrement aimé dans cette femme originale, c’est précisément ce que lui reproche Saint-Simon, c’est sa folie du théâtre qui la pousse à jouer elle-même sur la scène et à se commettre avec des comédiens, gens réputés infréquentables. 
La bibliothèque de la duchesse :

Si la duchesse possède à Paris 941 volumes, le château de Sceaux abrite une bibliothèque plus importante, contenant 1 721 volumes imprimés, 58 Journaux de Trévoux et cinq volumes du Mercure [de France], et 95 manuscrits qui sont des livrets d’opéras, des recueils d’airs et morceaux de musique. On y trouve aussi des manuscrits de prière sur vélin. 

On remarque un intérêt nourri pour l’histoire moderne (17%) et ancienne (12%), et la religion (17%). Curieusement, peu de littérature antique (5%) et moderne (8%), et peu de romans et fables (7%). Plus surprenant encore le théâtre et la philosophie ne représentent que 1%. 

L'ensemble de sa bibliothèque a été estimé à quatre mille sept livres
Divertissements musicaux :

La musique, passion déjà visible dans la bibliothèque, se concentre principalement au château de Sceaux comme en témoigne le nombre important d’instruments notés dans l'inventaire après décès. Sceaux abrite deux clavecins dont un dans une caisse « peinte à figures sur son pied de noyer », un orgue et une flûte d’ébène montée en ivoire.

Comme dans toute demeure aristocratique, la musique se devait d’être présente à Sceaux, comme faisant partie de l’image et du bon fonctionnement de la maison. Un musicien officiel, Jean-Joseph Mouret, est installé à Sceaux. Pierre Marchand, organiste, y demeure aussi. Outre Marchand et Mouret qui furent les plus actifs dans l’écriture musicale des Grandes Nuits de Sceaux, d’autres musiciens furent appelés à prêter leur talent à ces fêtes : Nicolas Bernier, François Colin de Blamont et Thomas-Louis Bourgeois. 
Les Grandes nuits de Sceaux :

Les Grandes Nuits de Sceaux est un ensemble de fêtes et divertissements donnés par la duchesse du Maine en son château de Sceaux entre 1705 et 1753. 

La duchesse du Maine prend l'habitude de donner des bals masqués pour le Mardi Gras dans les années 1705-1706. Puis, souffrant d'insomnies, elle devient l'inspiratrice, mais aussi l'actrice et la dédicataire de ces divertissements nocturnes, entourée d'une cour de fidèles. Elle demande à son voisin, Nicolas de Malézieu, ancien précepteur du duc du Maine de lui organiser des fêtes.  

Entre 1703 et 1706, Malézieu réalise des comédies-ballets avec le musicien Jean-Baptiste Matho. La duchesse, dans ses nuits costumées, accueille des artistes, hommes et femmes de lettres qu'elle peut tyranniser à volonté, la plus grande partie étant chevaliers de l'O
rdre de la Mouche à Miel.

Les seize Grandes Nuits de Sceaux ont lieu entre avril 1714 et 1715. Elles reprennent petit à petit en 1722 et deviennent de plus en plus grandioses entre 1729 et 1731, avec illuminations et feux d'artifices et pièces de théâtre.
Collection d'instruments scientifiques :

A une époque passionnée par les sciences et les techniques la duchesse du Maine possède des instruments répartis dans ses différentes résidences.

Son inventaire après décès répertorie des pendules à répétition, une boussole en argent, des cadrans solaires en cuivre, deux télescopes, une lunette d’approche, sept microscopes, une lanterne magique, un alambic en argent avec sa lampe de verre, un cadran mathématique de cuivre doré, six baromètres, etc.

Elle possède aussi quatre mappemondes à Paris, deux globes terrestres et célestes et une sphère de carton à Sceaux, et deux globes et une sphère à Anet. 
La conspiration de Cellamare :

Blessée dans son orgueil d'avoir dû épouser le duc du Maine, elle cherche à jouer un rôle politique sous la Régence pour venger l’affront fait à son mari par le Régent qui avait fait casser le testament de Louis XIV donnant des privilèges exorbitants à ses fils légitimés.

Elle engage son mari à entrer dans la conspiration de Cellamare en 1718, en vue de faire attribuer la régence au roi d’Espagne. Elle entre en correspondance avec le Premier ministre de Philippe V, le cardinal italien Giulio Alberoni. On échafaude toutes sortes de plans chimériques : enlever le Régent, faire attribuer la régence à Philippe V qui convoquerait les états généraux…

Lorsque le complot est éventé, la duchesse est arrêtée le 29 décembre 1718  à Paris et emprisonnée à Dijon en 1719. Elle peut retourner à Sceaux l’année suivante et ne s'y occupe plus que d’y tenir sa cour.
L'hôtel de la rue de Varenne :

Le 1er août 1736 la duchesse du Maine loue à la veuve de Peyrenc de Moras un hôtel particulier de la rue de Varenne à Paris, l'hôtel de Moras qui prend le nom d'hôtel du Maine. 

Elle fait terminer les travaux de décoration de l’édifice et en prend possession en janvier 1737. Elle fait également réaliser le Petit Hôtel, sis sur le même terrain, dès l’année suivante.

Pendant près de quinze ans la duchesse y organise de nombreuses fêtes et y tient sa cour conjointement à son château de Sceaux.
La mort de la duchesse :

La duchesse du Maine meurt en 1753 à l'hôtel de la rue de Varenne.

Elle est enterrée à Sceaux où sa plaque tombale est visible dans l'église.

 
YCY REPOSENT LES CENDRES

De très haut, très puissant et très excellent
prince LOUIS AUGUSTE DE BOURBON
duc du Maine. prince légitimé de France. par
la grâce de Dieu prince souverain de Dombes
 duc d’Aumale, comte d’Eu, commandeur des ordres
du roi, lieutenant général de ses armées
colonel général des Suisses et Grisons
gouverneur et lieutenant général pour sa
Majesté  dans ses provinces du haut et bas
Languedoc. grand maître et capitaine général
de l’artillerie de France. Décédé en son château de
Sceaux le XIV mai MDCCXXXVI, âgé de LXVI ans.

De très haute, très puissante, et très grande
Princesse LOUISE BENEDICTE DE BOURBON
 princesse du Sang son épouse. Décédée à Paris
le XXIII janvier MDCCLIII  âgée de LXXVII ans.

Et de très haut, très puissant et excellent
Prince LOUIS CHARLES DE BOURBON
 comte d’Eu leur fils. Décédé à Sceaux le
X juillet MDCCLXXV  âgé de LXXIII ans IX mois
moins XI jours.
 
Priès Dieu pour Eux.
Sources :

>  Eugène Olivier, Georges Hermal, Robert de Roton (O.H.R.) : Manuel de l'amateur de reliures armoriées françaises, planche 2604-3

> Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon (1840)

> «La Duchesse du Maine (1676-1753) : une mécène à la croisée des arts et des siècles» 

> Notice Siefar Duchesse du Maine 

> Le duc et la duchesse du Maine, Seigneurs de Sceaux 

> Domaine de Sceaux, l’ordre de la Mouche à miel 

> Conférence à l’Ecole Nationale des Chartes 

> La cour de Sceaux (Essentiels Gallica 1699-1753)

> Page Wikipédia Duchesse du Maine 

> Page Wikipédia Ordre de la Mouche à miel 

> Page Wikipédia Conspiration de Cellamare

> Page Wikipédia Château de Sceaux

> Page Wikipédia Hôtel de Biron

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